Au regard du fait qu'il y ait quelque chose plutôt que rien, je peine à concevoir que tout un chacun ne soit pas confronté, tôt ou tard, à cette question obsédante, irritante, existentielle :
C'est quoi cette vie ?
On pourrait tout aussi bien demander : « C'est quoi cette bouteille de lait ? » que le résultat serait le même.
Le mystère réside dans l'attrait suscité par cette interrogation.
Cela peut demeurer comme un vague questionnement, étouffé sous des couches d'activités secondaires, ou cela peut agir comme de l'urticaire.
C'est ce qui semble s'être produit dans mon cas.
La démangeaison fut légère pour le jeune homme que j'étais, avant de devenir obsessionnelle à l'approche de la quarantaine.
Qui suis-je ?
Cette question ne m'a pas laissé d'autres choix que d'abandonner une place confortable et rassurante de cadre dans une société de service informatique; elle ne m'a pas laissé d'autres choix que de troquer un appartement cosy et chaleureux pour un van aménagé; elle ne m'a pas laissé d'autres choix de délaisser une vie sédentaire et pépère pour une existence de nomade sans attache ni repère.
Cette existence m'a mené sur les contreforts de l'Himalaya au pied d'un sage réalisé, éveillé; au cœur de la Forêt-Noire en Allemagne sur les traces de Karlfried Graf Dürckheim, précurseur du Bouddhisme Zen en occident; aux portes de la cité utopique d'Auroville située à côté de Pondichéry; de communautés en communautés, en Belgique et ailleurs, pour des retraites intensives; à la découverture de la montagne sacrée d'Arunachala, aux abords de laquelle résident la ville au nom improbable de Tiruvannamalai et l'ashram de Sri Ramana Maharsi, un des plus grandes sages indiens du XXème siècle. Je fus balloté tel un fétu de paille au gré du vent.
Et durant tout cette quête, je n'ai pas eu le choix.
Je n'ai jamais eu mon mot à dire.
Ce ne fut pas négociable.
Je suis parti en Inde alors que je n'avais pas spécialement d'attrait pour ce pays.
Ce n'est toujours pas le cas.
Ce n'est pas là-bas que j'irai passer mes vacances.
J'ai dévoré des livres de toute confession comme si ma survie en dépendait.
Unique prérequis : m'éclairer.
Je me suis extrait du monde pendant six mois dans un centre de méditation bouddhique afin que vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, il n'y ait plus que la quête qui compte.
J'ai marché, couru, deux milles kilomètres pendant soixante-dix jours vers Compostelle en espérant être exaucé.
De monastères en sanctuaires, d'églises, cathédrales en ashram, je me suis recueilli, j'ai prié, j'ai supplié.
Quand j'ai réalisé que cette quête de Vérité s'apparentait à trouver Dieu, l'engagement fut total, impitoyable.
Plus de quartier.
Tout le reste s'est effondré.
Que pouvait-il y avoir de plus important que cela ?
S'accomplir dans son travail ou fonder une famille paraissait bien dérisoire en comparaison.
La question est devenue brûlante, sanglante, ne me laissant aucun répit.
Je l'associe à la phrase attribuée à Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ».
L'intensité du brasier fut décuplée.
Les phases d'excitation et d'émerveillement répondirent à de fréquentes larmes de frustration.
Certains sombrent dans la dépression.
C'est la nuit noire de l'âme.
Ma nature positive et optimiste m'en préserva.
Mais je me suis éloigné de certains proches, j'ai rompu avec le réconfort de routines quotidiennes.
J'aurais pu tout abandonner pour obtenir une réponse à cette question.
Plus rien d'autre n'avait d'importance.
D'un tempérament économe, l'argent coula à flot.
Version spirituelle du quoi qu'il en coûte présidentiel.
J'aurais donné jusqu'à ma chemise dans cette entreprise.
J'aurais vendu mes enfants pour obtenir une réponse. Heureusement, je n'en ai pas.
D'ailleurs, c'est bien de dépouillement dont il s'agit, et non de développement.
J'étais une momie bardée de bandelettes ajoutées irrémédiablement au fil du temps.
Complètement enserré dans cette coque de protection apparente, mais ne laissant aucune liberté de mouvement.
Et puis un jour, la dernière bandelette tombe.
Et il reste quoi ?
Rien.
Tout.
Le Silence.
La Paix qui dépasse tout entendement.
Semblable à une ventilation imperceptible avant de se révéler suite à son arrêt, l'absence de la question révèle le Silence véritable; une détente profonde et inimaginable.
Ça ne gratte plus.
Et la vie reprend son cours.
« Couper du bois, porter de l'eau » ainsi que le Zen l'exprime.
Les livres traitant de spiritualité ne suscitent plus aucune curiosité.
Ils peuvent même susciter un léger dégoût, tel l'alcool après une soirée trop arrosée.
Désormais cette autre phrase apparemment attribuée à Jésus (là il serait pertinent de mettre des guillemets, mais bref passons), « Vous êtes dans le monde, mais non du monde » prend tout son sens.
Je ne peux pas l'expliquer.
D'ailleurs je ne peux rien expliquer.
Je peux seulement témoigner.
Cette vie est un mystère.
Cette vie est un miracle.
Cette vie n'est pas ce qu'elle paraît être.
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Rachel (dimanche, 07 août 2022 23:16)
Magnifiquement exprimé. Merci La Vie.
Sébastien Sauleau (lundi, 08 août 2022 10:35)
Et merci pour ton commentaire Rachel.
Mumu (lundi, 31 octobre 2022 13:06)
Gratitude Sébastien
de traduire par des mots ce qui est ressenti Ici..
Sébastien Sauleau (lundi, 31 octobre 2022 14:30)
Merci Mumu.
Je ressens la même gratitude quand je vois les mots apparaître sur l'écran.